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Sentences
14 juin 2006

Les martyrs semeurs de paix

Les Algériens, musulmans et chrétiens, et des Français ont rendu hommage aux quatre Pères Blancs assassinés il y a dix ans à Tizi Ouzou, en Kabylie. «Pour la mort des frères, dit Yamina en kabyle, les montagnes ont bougé. Aujourd'hui, ils sont au ciel. Ils veillent sur nous et intercèdent pour que la violence soit vaincue, et que le peuple souffrant d'Algérie retrouve la paix».
Jeudi 6 janvier, ils étaient plus d'une centaine, la plupart musulmans, assemblés dans le vieux cimetière chrétien de Tizi Ouzou. Ils étaient venus dire «quelque chose», ce quelque chose que, le cœur endolori, ils n'avaient pu dire il y a dix ans aux membres des familles présents, alors qu'à l'époque ces derniers avaient été dans l'impossibilité de faire un voyage jugé trop risqué. Dire leur attachement, leur amitié. Dire que les Pères, héritiers d'un long quotidien de partage et de solidarité, immergés dans ce peuple qui leur tenait à cœur, n'étaient pas morts pour rien.
Des vies livrées par amour

Dans le cimetière, les trois tombes jusque-là distinctes ne faisaient plus qu'une. Sur la pierre blanche, les noms de trois des Pères - Alain Dieulangard, Jean Chevillard, Charles Deckers - sont gravés, ainsi que celui de Christian Chessel, inhumé, selon le vœu de sa famille, à Villebois, dans l'Ain. Avec, inscrite dans la pierre, cette vérité ultime : «Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime» (Jn 15,13)…
Les quatre Pères avaient été des victimes faciles. À l'heure de l'épreuve, ils avaient fait le choix de rester à leur place. L'un d'entre eux, Christian Chessel, avait d'ailleurs écrit peu avant sa mort une belle méditation sur la mission dans la faiblesse : «La faiblesse choisie devient l'un des plus beaux langages pour dire la ‘discreta caritas’ de Dieu aux hommes, à la fois charité pleine de discernement mais aussi charité discrète de celui qui a voulu partager la faiblesse de notre condition humaine, en toute chose, excepté le péché. Par là, elle devient une spiritualité des mains vides, où l'on comprend que tout, jusqu'à nos faiblesses mêmes, peut devenir don et grâce de Dieu».
Ils ont payé de leur vie leur fidélité au peuple qu'ils aimaient. Le 26 décembre 1994, le GIGN donnait à Marseille l'assaut contre un Airbus d'Air France détourné par un commando du GIA, provoquant la mort de quatre terroristes. Le lendemain à midi, en représailles, les Pères étaient assassinés.
Mgr Teissier, archevêque d'Alger, avait lui-même placé la cérémonie sous le signe «du souvenir, du respect, du deuil partagé», mais aussi «de l'amitié», et de l'avenir.

La reconnaissance

L'avenir en acte, ce fut aussi la célébration qui eut lieu le lendemain. La chapelle des Pères Blancs étant trop petite, elle s'est déroulée dans ce qui devrait devenir, d'ici à quelques mois, la bibliothèque. Un autel avait été dressé entre quatre piliers de béton. Dans ce décor de chantier, outre les familles des Pères Blancs assassinés, les ambassadeurs de France et de Belgique, plusieurs représentants des autorités locales (le maire de Tizi Ouzou, une représentante du préfet et une conseillère municipale) ont en effet assisté à l'ensemble de la messe ainsi que de nombreux amis musulmans des Pères. Pour la première fois en Algérie, des Algériens musulmans, des Algériens devenus chrétiens, catholiques mais aussi évangéliques, se sont rassemblés pour une célébration qui n'était pas forcément celle de leur tradition. Présidée par Mgr Teissier, animée par la chorale des étudiants venus d'Afrique subsaharienne et inscrits à l'université de Tizi Ouzou, la messe, chantée tantôt en kabyle, tantôt en lingala, tantôt en français, était celle de l'Épiphanie.
Après la messe, et avant le couscous partagé à la table commune, c'est encore ensemble qu'ils découvraient la plaque apposée sur le mur de la chapelle qui rappelle qu'en ce lieu, le 27 décembre 1994, quatre Pères Blancs : Alain Dieulangard, Charles Deckers, Jean Chevillard et Christian Chessel ont «livré leur vie par amour et fidélité».
Vendredi 7 janvier, le père Miguel Larburu - provincial des Pères Blancs au moment de l'assassinat - clôturait à Notre-Dame-d'Afrique, à Alger, ce «cycle de la mémoire». Lors de la messe pour la paix et en présence des familles revenues de Tizi Ouzou, et devant les photos des 19 religieux et religieuses martyrs, il posait cette question : «Comment avons-nous avancé tous et chacun sur le chemin de la paix ?» Pour les familles, pour les Algériens qui les ont accueillis et remerciés d'être là, le chemin de la paix passait assurément par Tizi Ouzou.
(LC, 09/01/2005)

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