04 décembre 2005
Charles de Foucauld et les pères blancs
Dès la première année du Petit Écho, (revue interne aux Pères Blancs)
on y parle du P. de Foucauld de passage à Maison-Carrée
Parmi les visiteurs (du mois de juin 1913 à la maison-mère où est prise la photo reproduite ici) signalons le R. P. Charles de Foucault (écrit par erreur avec un t),l'ermite de Temenrasset (sic), en plein Sahara, à mi-chemin entre El-Goléa et Tombouctou. C'est avec vif intérêt que nous avons appris que les Touaregs des environs se montrent pour lui pleins d'égards et de confiance. Dans son voyage il est accompagné d'un jeune Targui (Oûksem ag Chikat, photo à dr.) d'une des meilleures familles du pays; son intention est de produire sur son esprit une impression salutaire en lui faisant voir ce qu'est la vie de famille parmi les bons chrétiens (On sait par ailleurs qu'Oûksem s'était marié le premier avril 1913). (PÉ. n°8 , juillet 1913, p. 81-82)
En octobre, on signale son retour en Algérie
A la fin du mois de septembre le P. de Foucault, l'ermite du Sahara, est revenu de son voyage en France et, après un court arrêt à Maison-Carrée (à la maison-mère des Pères Blancs), a repris la route du désert. Le jeune Targui qui l'accompagne nous a tous frappés par le changement qui s'est opéré en lui: il semble plus ouvert, plus confiant, mais tout aussi simple que lors de son premier passage (P. É. n° 11, octobre 1913, p. 127).
Un mois après sa mort tragique, le premier décembre 1916,
déjà le rédacteur du Petit Écho qualifie Frère Charles de " religieux".
Le 27 décembre nous avons eu la douleur d'apprendre que le R. P. de Foucault avait été massacré dans son ermitage de Tamanrasset (Hoggar). Voici dans quelles circonstances d'après les renseignements apportés le 3 décembre au poste militaire de Fort-Motylinski par un indigène, serviteur du P. de Foucault.
Le 1er décembre, vers 19 heures, un razzi d'une cinquantaine d'individus, venant des Ajjers, est arrivé à l'improviste sur Tamanghasset (sic). Ils ont entouré l'habitation du P. de Foucault. Un nommé le "" a frappé à la porte, soi-disant pour lui remettre le courrier de Tarhaouhaout. Il profita de l'inattention du Père pour se saisir de lui et, aidé par quelques autres hommes, le maîtriser. Les bandits tuèrent deux Sahariens venus rendre visite au Père. Celui-ci, ayant alors voulu se sauver, fut tué à bout portant d'une balle au dessous de l'oreille. Un troisième Saharien apportant le courrier fut également assassiné. Les quatre crimes ont été commis par les gens du razzi, aidés par quelques indigènes du Hoggar. Les corps du R. P. de Foucault et des trois militaires tués ont été entièrement dépouillés de leurs vêtements par les pillards. Ils ont été ensevelis par les soins de quelques indigènes dans un fossé avoisinant l'ermitage.
Tous nos confrères voudront bien avoir dans leurs prières un souvenir pour le R. P. de Foucault, qu'ils connaissent au moins de réputation. Le religieux ermite s'intéressait beaucoup à nos œuvres. Il se considérait dans sa vocation extraordinaire comme un précurseur et souhaitait vivement de voir le jour où les Pères Blancs s'établiraient parmi les tribus pillardes où il avait élu domicile. La Congrégation qu'il avait projeté de fonder aurait eu pour but, par la prière, la pénitence et la charité, d'attirer les bénédictions célestes sur les missionnaires travaillant à la conversion des infidèles. Dans le même but il avait songé à créer une association dite " de Frères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus".
Suit la reproduction d'une lettre de Mgr Livinhac, Supérieur Général, au P. de Foucauld à propos de cette association. La lettre se terminait par ces mots: "Vous n'admettez, en effet, et vous avez raison, que des âmes d'élite, résolues à pratiquer, chacune selon sa vocation, les conseils évangéliques dans toute leur perfection, mais de telles âmes ne se trouvent pas facilement. Le rédacteur du Petit Écho conclut avec un mot d'admiration mêlée de regret: C'était bien là, le grand obstacle aux projets du saint religieux. Dieu lui aura tenu compte de ses généreux désirs (P. É. n. 40, janvier 1917 p. 5-6).
Dans l'article qui suit., nous revenons sur les relations étroites entre Charles de Foucauld et les Pères Blancs et Sœurs Blanches. Leurs lettres ont été présentées par Philippe Thiriez, M. Afr., et Antoine Chatelard, Petit frère de Jésus, dans un livre de mille pages, Correspondances sahariennes (Cerf, 1998).
***************************
En 1903, à Beni Abbès, de g. à dr. : Abd-Jesu (Serviteur de Jésus) le 'petit esclave racheté', le P. Charles de Foucauld, 45 ans, et le P. Charles Guérin, 31 ans, préfet apostolique du Sahara depuis 1901. Le 'bien aimé et très vénéré Père' et le 'bien cher ami' s'écriront pendant 9 ans jusqu'à la mort de Mgr Guérin, le 19 mars 1910.
Charles de Foucauld
et les Pères Blancs
L'acte de décès du P. de Foucauld, transcrit en mai 1917 par le Capitaine de la Roche porte mention" du nommé de Foucauld Charles, profession de Père Blanc, né en 1858 à Strasbourg, décédé vers le 1° décembre 1916 et inhumé à Tamanghasset" (Correspondances sahariennes, CS 1034). Pourtant dans une lettre du 8 mars 1908 à sa sœur Marie de Blic, évoquant le cher et vénéré P. Guérin, il précise: " n'est pas mon directeur et je ne suis pas Père Blanc; il est évêque du diocèse où je me trouve et me comble de bontés."
Charles de Foucauld ne connaissait pas les Pères Blancs avant de débarquer à Alger le 10 septembre 1901. Tout juste ordonné, il avait proposé ses services à l'évêque du Sahara , par l'entremise de Mgr Livinhac, sans savoir qui devait remplacer Mgr Hacquart, noyé à Ségou le 4 avril. En compagnie du prieur de la Trappe de Staouéli (CS 45), c'est le tout jeune préfet apostolique, Charles Guérin, 29 ans, qui vint l'accueillir au bateau. Il devait mourir du typhus avant lui, le 19 mars 1910, à 38 ans. C'est le P. Henri Bardou, alors supérieur à Ouargla, qui occupera ce poste de janvier 1911 à 1916. Lui et le Fr. Charles se rencontrèrent en 1913 à Tilremt, entre Ghardaia et Laghouat, dans un bordj qui existe encore (CS 939). Après lui, c'est Mgr Gustave Nouet qui fera le transfert à El Goléa en 1929 des restes du Fr. Charles.
Après les massacres des deux caravanes P.B. et de la mission Flatters (en 1876 et 1881), les trois postes de Ghardaia, Ouargla et El Goléa avaient été réoccupés en 1884 (CS 17). Ce sont les diaires de ces postes qui nous parlent avec émotion des passages de l'ermite.
Pendant son séjour à Beni-Abbès (1901-1904), il fut logé à Maison-Carrée, lors de son arrivée, reçut à la Pentecôte 1903 la visite de son évêque (et du P.Vellard, son photographe) et fit retraite durant six semaines (11 novembre au 26 décembre 1904) chez les Pères de Ghardaïa (les PP. David, Lasonnery et Perrier qu'il édifia par son austérité et sa vie de prière).
Mgr Guérin évoque sa visite de Pentecôte: "I1 nous fut bien doux de vivre quelques jours dans l'intimité de ce vrai prêtre qui possède si parfaitement l'esprit de Jésus. Non moins doux de constater la gloire que retire Jésus de la sainteté de son humble ministre: auprès des Européens, officiers et soldats, comme auprès des indigènes, nous n'avons saisi qu'un même écho de respectueuse admiration et de religieuse vénération pour le cher et pauvre solitaire qui, par son oubli de lui-même, son inépuisable générosité et aussi sa très constante amabilité gagne du premier coup tous les cœurs" (Chroniques Trimestrielles, CT 101).
Les Pères de Ghardaïa notent: "Les desseins du Fr. Charles de Jésus étaient de venir prendre, durant quelques semaines, le repos physique et surtout moral, dont il sentait si fort le besoin après une existence si opposée aux désirs de son âme assoiffée de silence et de recueillement. Il venait aussi rendre compte au Chef de Mission des résultats de son voyage et prendre ses ordres pour l'avenir avec une humilité touchante. Il fut résolu qu'il resterait à Ghardaïa au moins jusqu'à Noël. Pendant les premiers jours, il se joignit à la Communauté avec la plus grande simplicité et de la manière la plus aimable, nous intéressant beaucoup, tant par tout ce qu'il nous racontait de son récent voyage et des Touaregs que par les souvenirs plus anciens de son voyage au Maroc. Puis, à partir de l'Avent, il demanda à entrer en retraite, et jusqu'à Noël nous ne le vîmes plus guère sortir de sa chambre que pour aller passer de longues heures à la chapelle" (CT 122).
Il aurait aimé trouver un compagnon chez les Pères Blancs. Ceux auxquels il songeait, le P. Pierre Richard et le P. Camille de Chatouville, ne purent se libérer. Quant au Fr. Gilles (Michel Goyat), il le renvoya au bout de trois mois, le jugeant inapte à sa mission (CS 915).
C'est finalement à Maison-Carrée qu'il séjourna le plus souvent: dix jours en septembre 1901, douze en novembre 1906 (pour y prendre le Fr. Gilles) et, à l'aller et au retour, lors de ses trois séjours en France: en 1909 (13 au 16 février; 8 au 11 mars), en 1911 (11 au 16 février; 16 au 19 mars) et en 1913, accompagné d'un Touareg (7 au 10 juin; 29 sept. au 2 octobre). Il venait alors de Tamanrasset par El-Goléa (où étaient les PP. Richard, Ohrand et Foca) et prenait à Ghardaia la diligence puis l'autobus pour Alger, sauf en 1911, où il passa par Beni-Abbès et Béchar d'où il prit le train pour Perregaux et Alger. D'abord intimidé en 1901 par ces vieilles barbes, il s'y sentit vite chez lui. Il était heureux, quand c'était possible, de voir ses correspondants: Mgr Livinhac et Mgr Guérin, les PP. Marchal et Voillard (celui-ci devint en 1911 son conseiller, après la mort de l'abbé Huvelin en juillet 1910), et de bons amis parmi lesquels les PP. Michel, Duchêne, Mercui, ou le P. Ludovic Girault qui sollicita son ami René Bazin en 1917 de rédiger la biographie de l'ermite (CS 912). C'est l'imprimerie de Maison-Carrée qui publia dès 1918 Le P. Charles de Jésus, vicomte de Foucauld et en 1927 les Articles du Procès de l'Ordinaire.
Le diaire note au 8 décembre 1906: "Le P. de Foucauld (Charles de Jésus) qui a fait successivement des conférences au Noviciat de Sainte-Marie, au Sanatorium, aux Frères, parle aujourd'hui du Maroc aux Pères de la Maison-Mère. Conférence fort intéressante où paraissent tour à tour et la compétence de l'ancien officier et l'humilité du religieux "(CT 137).
Puis en 1909: "Il nous donna les plus intéressants détails sur toute la région qu'il habite, désormais ouverte à l'influence française. Le chef des Touareg Hoggar, Moussa, a fixé sa maison à Tamanrasset même, auprès du P. de Foucauld. Il a auprès de lui, comme khodja ou secrétaire, l'homme qui connaît le mieux la langue tamacheq. Le Père profite de cette circonstance pour faire de cette langue l'étude la plus sérieuse. Chaque jour, ce khodja aide le cher Père à terminer des dictionnaires ou à traduire en tamacheq divers passages de l'Ancien ou du Nouveau testament. Daigne N.S. permettre qu'un jour nos confrères viennent profiter de ces travaux qui leur donneront de suite les moyens d'agir sur ces pauvres populations: c'est là le grand dessein et l'ardente prière du cher solitaire" (Rapports Annuels, RA 1908).
Pour mieux connaître Charles de Foucauld : sa vie par René Bazin publiée d'abord en 1921, son évolution spirituelle par le Petit frère Antoine Chatelard, en 2002, et ses lettres à des Pères Blancs et Sœurs Blanches publiées en 1998 par Ph. Thiriez et A. Chatelard.
Il parlera en 1911 de "tous les P. Blancs à l'ombre desquels (il) vit depuis dix ans!" et qu'il aimerait voir prendre sa suite. Il note cependant en 1905 dans son carnet (Carnets de Beni Abbès, CBA 169) les réticences des autorités militaires à ce sujet "car 1) ils ont donné des ennuis presque partout. 2) ils sont souvent maladroits et se mêlent de ce qui ne les regarde pas. 3) les enfants qui fréquentent leurs écoles sont d'ordinaire pires que les autres! On ne sait s'il partage ce point de vue ou s'en sert pour décider les Sœurs Blanches à venir les premières." (CS 913). Celles-ci, installées à Laghouat dès 1872 avec un prêtre d'Alger, puis à Ghardaïa où elles sont en 1904 une quinzaine, en charge des hôpitaux civil et militaire, le reçoivent et l'écoutent avec dévotion. Leur supérieure canadienne, Mère Augustine, fut la dirigée du Fr. Charles (CS 954).
Un travail de recherche fut réalisé, en 1951, au scolasticat d'Eastview, et repris en 1978 par le P. Pierre Delétoile, décédé en 1995, sur Les Pères Blancs, témoins de la vie missionnaire de Ch. de Foucauld. Il cite abondamment les Chroniques Trimestrielles de 1903 à 1907, le Petit Écho de 1913 à 1922, les Rapports Annuels de 1905 à 1912, les Missions Catholiques de 1917 et 1918, les Missions d'Afrique de 1918-1919. Si l'on y parle peu de son passé ni de son séjour à Nazareth, on admire le saint religieux et l'apôtre hors du commun.
À la nouvelle de son assassinat, les Pères de Ouargla notent: "Les auteurs de ce crime abominable voulaient s'emparer de celui qui, par son incontestable influence, empêchait les Hoggars de se soulever contre la France. La consigne était de remettre le Père vivant entre les mains du grand chef des Snoussis ; mais l'arrivée d'une de nos patrouilles dérangea les plans, et fit terminer le raid d'une manière sanglante" (Petit Écho PE 68).
Répondant en 1921 au P. Voillard, René Bazin disait: "Il me semble que nos contemporains ne distingueront pas entre Ch. de Foucauld et vos frères. Il a été leur compagnon, leur ami, leur obligé. On peut dire qu'il est leur modèle. Par là, il servira la cause de la conversion des musulmans. Ses prières vous vaudront d'être un jour appelés au secours par ceux-là qui vous ont si peu compris jusqu'à présent. Nul ne sait tout ce qu'un saint peut faire pour continuer, invisible, les travaux commencés par lui. I1 préparera le bien que vous accomplirez" (PE 98).
Philippe Thiriez
ancien vicaire général du diocèse Laghouat, Sahara
rédacteur de Se Comprendre www.comprendre.org
Lyon, France